samedi 25 mai 2013

La Guerre des Toubabs-Les Dames du Chemin-Maryline Martin-Editions GLYPHE-Tous Droits Réservés-2013

 
 
 
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Dans ces baraques Adrian, les combattants du front retrouvaient les nouvelles recrues arrivées d’Afrique. Il avait fallu s’habituer au froid, et à la nourriture aussi. Les repas étaient comme les rayons du soleil d’hiver, ils ne réchauffaient guère le moral et manquaient de couleurs. Connaître des rudiments de français, saluer le drapeau tricolore, apprendre à faire la guerre avant de faire la guerre, c’était leur programme en arrivant dans ce nouveau pays. Levé à quatre heures du matin, Abdoulaye, tel le caméléon, se fondait dans ce nouveau décor. Brisé par les marches d’exercices avec, sur son dos, un barda de trente kilos, il tombait dans un profond sommeil en rêvant de son village et de la brousse. Il revoyait ses parents : son père occupé à la culture d’arachides et du mil ; sa mère, aux dents rougies par le bétel, aux cheveux retenus par des fils colorés et des palettes de bois. Avant de retrouver l’arbre à palabres au pays des songes, il n’oubliait jamais de réciter quelques versets d’une sourate.
 
 Son apprentissage de la vie européenne avait commencé à Fréjus. Des colis leur étaient parvenus. Et Abdoulaye avait rencontré une jeune femme, Hortense, une infirmière qui soignait les tirailleurs retirés du front, victimes du froid. Elle était devenue sa marraine de guerre(...)
 
Très vite, un train avait emmené Abdoulaye et ses compagnons vers le front, dans le Nord. Il se sentait prêt, invincible avec son sabre d’abattis, son Lebel et ses grenades. Après avoir consolidé la Voie Sacrée à renforts de coups de pioches, le soldat se frotta à l’enfer de Verdun. Il apprit à marcher dans les tranchées boueuses, à se terrer comme un rat dans des cases de fortune. Sa peau noire devint aussi sèche et grise que le sol de ses ancêtres quand la pluie l’oublie. Unis dans le même désir d’en découdre avec l’ennemi, sous des gerbes de terre et de feu, pataugeant dans une infâme bouillie d’eau et de sang, Blancs et Noirs étaient entrés dans la mêlée.
 
À plusieurs reprises, il avait senti le souffle de la mort sur son visage. Souvent, ses griffes acérées avaient effleuré sa peau. Il avait dû supporter aussi le gaz qui piquait les yeux et le faisait vomir. Pour la première fois, il vit des hommes blancs pleurer, appeler leur mère, avant de mourir dans des poses incongrues. Des Blancs, dont la putréfaction teignait le visage en bleu, en vert et même en noir. Sous un ciel crachant du feu et de la ferraille, Abdoulaye avait compris que les surhommes n’existaient pas...
 
 
 
(Extrait La Guerre des Toubabs-Les Dames du Chemin-Maryline Martin-Editions GLYPHE-Tous Droits Réservés-2013)

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