Lucie
est morte. Lucie est morte seule. Sa mère et sa sœur venues du Portugal
n’ont pu lui dire un dernier au revoir. Pas de visite en soins
palliatifs lorsque le virus rode, tapi dans un coin. Lucie
avait fui avec sa famille la dictature du Général Salazar … Lucie était
une battante, une guerrière mais depuis quelques jours, elle avait
choisi de déposer les armes. Nous avons partagé ensemble de nombreux
fou-rires et quelques délires en salle de sport ou en boîte de nuit mais
également au sein du cabinet de radiologie qui nous employait. Avec le
départ de Lucie, et avec celui de Françoise, Josette, et de trois
médecins, c’est un peu de ma vie d’avant qui s’enroule un peu plus dans
l’obscurité. Putain de maladie…
Hier, pendant qu’une amie m’apprenait le décès de Lucie, ma mémoire rembobinait les souvenirs de ce temps d’avant.
Avant-Après.
Et cet entre-deux où je prends le temps de me poser et d’écouter cette
petite voix intérieure. Parenthèse dans ma vie professionnelle où depuis
le début de cette drôle d’année, je confiais à un collègue en avoir
assez de faire tourner la roue de carrier ... Faire le point sur les
essentiels. Les priorités à donner. Dire au revoir à la petite fille qui
parfois se réveille en moi et qui parfois m’oblige à rester polie. Je
sais dire non, là j’ai dit stop…
Stop :
j’aimerai que les gens comprennent enfin que pour l’heure notre
priorité est la solidarité face à cette « guerre » contre la maladie.
Cette bactérie invisible qui révolutionne notre mode de vie, de pensées.
Je pense à ma grand-mère qui répétait parfois en boucle : « Qu’il nous
faudrait une bonne guerre ». Mamie
avait connu celle qui devait être « la der des ders », et pleuré un
frère mort dans les tranchées. Quelques années plus tard, elle se
trouvait sur les routes : l’exode sous les bombes avec 4 enfants perchés
sur une charrette… Heureusement, en chemin, elle avait trouvé un
hébergement dans la Vienne et des amis pour la vie. Solidaire,
solidarité, nous montrer solide devant l’indicible.
Un
gros mot pour certains : cette guerre fait ressortir des comportements
de mercantis. Un pharmacien qui vend des masques 10€ l’unité, un tabac
qui fait commerce des attestations de déplacement dérogatoire …
Dérogatoire, là aussi. Il faudrait sans doute faire des leçons de
vocabulaire.
Groupés, entassés dans des voitures ou des wagons de la SNCF, les parisiens ont fui Paris. Ce
sont de véritables bombes à retardement. Je ne savais pas que le
confinement s’apparentait à des vacances. La capacité de l’île de Ré se
voit saturer et le préfet du Morbihan interdit toute location dans les
îles.
Dans cet entre-deux, je
ne suis sortie que pour prendre mon courrier. J’ai croisé une voisine
et je me suis assurée de la bonne santé d’une autre. Elles sont âgées.
Nous avons pris l’ascenseur ensemble. Elle maintenait devant sa bouche
son foulard, moi j’avais un gant en latex et du sopalin dans les mains. Protections dérisoires pour faire rempart face à l’ennemi invisible. Tout va bien, elles avaient toutes deux de quoi s’alimenter et bien entourée par les appels de leurs enfants.
Je
crois que je n’ai jamais autant pris contact par téléphone avec ma
famille et mes amis, j’avoue que l’application WhatsApp me divertit.
Puissions retenir une leçon de cet entre deux et ne pas mettre toute cette poussière sous le tapis une fois l’épisode terminé.
J’ai beaucoup aimé entendre Cynthia Fleury (psychanalyste et philosophe) dans l’émission Boomerang
sur France Inter. Au micro d’Augustin Trapenard, elle s’exprimait sur
le processus de l’oubli : « Pour être au présent, il y a une forme
positive d’oubli parce que sinon, cela s’appelle la rumination,
l’obsession. Il est important d’oublier, il est important que l’oubli ne
soit pas lui-même le lieu d’une répétition. Il faut qu’il y ait eu création et apprentissage d’une leçon… C’est très dur d’apprendre une leçon…».
Mais
promis, les jours prochains, je vais essayer d’être plus légère.
Pourquoi ne pas vous donner la recette de mon « banana bred » et de vous
parler de mes recettes tirées du placard ? !
En ce jour J3 une petite lumière brille pour Lucie…et pour ceux que je ne connais pas…
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